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    L'Autonomie de la Création

     Carlos Santero

     

              Dans la pensée grecque, chez Aristote notamment, les humains font encore partie de la nature. Leur destinée n'est pas dissociée d'un cosmos éternel, et c'est perce qu'ils peuvent accéder à la connaissance des lois qui la régissent qu'ils sont en mesure de s'y situer. Pour que la nature des Modernes accède à l'existence, il fallait donc une deuxième opération de purification ; il fallait que les humains deviennent extérieurs et supérieurs à la nature. C'est au christianisme que l'on doit ce second bouleversement, avec sa double idée d'une transcendance de l'homme et d'un univers tiré du néant par la volonté divine. La création porte témoignage de l'existence de Dieu, de sa bonté et sa perfection, mais ces œuvres ne doivent pas être confondues avec Lui, ni les beautés de la nature appréciées par elles mêmes : elles procèdent de Dieu, mais Dieu n'y est pas présent. L'homme étant lui aussi créé, il tire sa signification de cet évènement fondateur. Il n'a pas sa place dans la nature comme un élément parmi d'autres ; il n'est pas "par nature" comme les plantes et les animaux, il est devenu transcendant au monde physique ; son essence et son devenir relèvent désormais de la grâce divine, qui est au-delà de la nature. De cette origine surnaturelle, l'homme tire le droit et la mission d'administrer la terre.

     

              Obsédé par l'idée de la Création et ses conséquences, le Moyen Âge retient aussi certaines leçons de l'Antiquité. Foisonnent alors les synthèses sur l'unité de la nature combinant l'exégèse biblique à des éléments de la physique grecque, surtout à partir du XII siècle, lorsque les œuvres d'Aristote sont redécouvertes. L'extériorité du monde acquiert un caractère manifeste, et l'idée chère à l'Occident, que la nature est une évidence universelle dont aucun peuple, si sauvage soit-il, ne saurait manquer de percevoir l'unité.

     

              La Création est une scène provisoire pour une pièce qui se poursuivra après que les décors auront disparu. Lorsque la nature n'existera plus et que seuls demeureront les protagonistes principaux : Dieu et les âmes ; c'est à dire les hommes sous un autre avatar.

     

     

     Philippe Descola / Par-delà nature et culture


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    La notion d'évolution

    Lorraine

     

     Les lois de la thermodynamique

     

        Le fait que le monde évolue est pour nous une évidence. Depuis deux cents ans, l'Homme s'est habitué à un progrès scientifique et technique permanent. Ce progrès est de plus en plus rapide. Il ne cesse de s'accélérer. Cela nous paraît dans la nature des choses. La plupart d'entre nous pensent que cela va continuer indéfiniment. Peu d'entre nous réalisent que cela n'a pas toujours été. Fort probablement cela ne sera pas toujours.

     

        Au Moyen-Âge les progrès étaient si lents qu'ils étaient imperceptibles. La notion d'évolution est absente de la littérature de cette époque. La perception était que l'humanité avait toujours été telle qu'on pouvait l'observer, c'est à dire dans l'état où Dieu l'avait créée. Les peintures montrent la Sainte Famille en habits de Moyen-Âge.

     

        Il semble que tout ait commencé vers la fin XV siècle avec le développement de la typographie par Johannes Gutenberg. À cette époque on considérait que l'explication du monde était dans la Bible. On a donc imprimé la Bible. Pendant tout le XVI siècle, les gens apprenaient à lire pour lire la Bible. Il y a eu une immense vague d'alphabétisation.  En apprenant à lire la Bible, les gens apprennent à penser par eux mêmes. Michel de Montaigne incite ses lecteurs à la réflexion philosophique. Les livres se multiplient

     

        Au XVII siècle, des savants comme René Descartes pensent et font savoir qu'il est possible de comprendre le monde indépendamment des croyances religieuses. C'est la montée d'une pensée rationnelle appelée "cartésianisme". Blaise Pascal hésite entre la religion et la raison. Il fait son fameux "pari".

     

        Au XVIII siècle, les livres deviennent si nombreux que le besoin se fait sentir de "comprimer" l'information et, de ressembler toutes  les connaissances de l'humanité dans un seul livre. C'est l'Encyclopédie de Denis Diderot et de Jean le Rond d'Alembert ou "l'Histoire Naturelle" de Georges Louis Leclerc, comte de Buffon. La réunion de toutes ces connaissances éclaire l'humanité. C'est le Siècle des Lumières.

     

         En lissant l'Histoire naturelle de Buffon, on y apprend qu'on trouve un peu partout  des vestiges de coquillages en haut des montagnes. Ces coquillages ressemblent à ceux que l'on trouve dans l'océan. Certaines roches des montagnes auraient elles été un jour sous la mer ? L'écossais James Hutton identifie de la lave dans son jardin. Y aurait-il eu un jour des volcans en Écosse ? Peu à peu l'évidence se fait jour. La Terre évolue.

     

        Moins d'un demi-siècle plus tard, Jean Baptiste de Lamarck étudie d'abord la botanique puis la zoologie. Il se passionne ensuite par la paléontologie. Celle-ci nous enseigne que des organismes vivants ont existé qu'on ne trouve plus maintenant. De toute évidence les espèces végétales et animales évoluent. Bien plus, elles évoluent du plus simple vers le plus complexe. Dans sa "perfection", l'Homme serait l'aboutissement de l'évolution.  Un nouveau demi-siècle plus tard, Charles Darwin publie un livre sur l'origine des espèces par la sélection naturelle. Le mécanisme de l'évolution se fait jour.

     

        En 1916, Albert Einstein publie son équation reliant la forme de l'espace-temps à la distribution d'énergie À son grand étonnement, l'Univers parait variable dans le temps. L'idée d'un univers qui évolue semble impensable à Einstein. Il ajoute à son équation une constante, dite "cosmologique", à fin de rendre l'Univers statique. En 1929, Edwin Hubble montre que l'Univers est en expansion. Einstein qualifiera l'ajout d'une constante cosmologique, comme étant la plus grande bourde de sa vie.

     

        Ainsi non seulement la vie et la Terre évoluent, mais l'Univers lui même évolue. Si tout évolue, y a t-il des lois qui régissent cette évolution ? 

     

     

    François Roddier

    Thermodynamique de l'évolution

    Un essai de thermo-bio-sociologie/Le temps d'apprendre/éditions parole


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    Empathie et humanisme 10/11/2020

     

     

     

     

     

    Le pays au complet est raciste. Officiellement. Blancs, métisses et noirs ne s'acceptent pas. Légalement les forts écrasent les faibles et tout le monde s'ignore. Il est difficile de croiser dans la rue un reflet même hésitant de complicité. Les personnes font partie du paysage. Des choses animés qui remplissent les chemins

    Je suis dans une ville qui n'est pas la mienne et, j'ai le privilège d'être étranger. Je viens de l'extérieur et je suis libre. J'ai été libéré par mes nuits de mer. Je n'ai pas de peurs ancestrales, ni me gênent les coutumes sociales. Je croisse tout le monde, parle avec eux

    Je vois les choses depuis ma distance, depuis mon ego remplie de nuits solitaires. Il me semble percevoir que toutes ces gens manquent de courage. Courage pour obtenir le futur qu'ils souhaitent. Courage pour être honnêtes et forts. Courage pour manifester leur désaccord, le dire, protester et dénoncer l'injustice.

     

     

     Afrique du Sud 1971

     

     

    Julio Villar / Cahiers d'un navigant solitaire


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    Quo vadis little men

     Keith Laumer/The last command

     

    L'AUTONOMIE DE LA NATURE

     

        L'émergence de la cosmologie moderne résulte d'un processus complexe où sont mêlés, l'évolution de la sensibilité esthétique et des techniques de représentation. L'expansion des limites du monde, le progrès des arts mécaniques et, la maîtrise accrue qu'il autorisait sur certains environnements. Le passage  d'une connaissance fondée sur l'interprétation des similitudes à une science universelle de l'ordre et de la mesure, tous facteurs qui ont rendu possible l'édification d'une physique mathématique, mais aussi d'une histoire naturelle et d'une grammaire générale. 

            Les mutations de la géométrie, de l'optique, de la taxinomie, de la théorie du signe émergent d'une réorganisation des rapports de l'homme au monde et des outils d'analyse qui l'ont rendue possible, plutôt que du cumul des trouvailles et du perfectionnement des habilités. 

           "Ce ne sont pas les découvertes qui ont provoqué le changement de l'idée de Nature. C'est le changement de l'idée de Nature qui a permis ces découvertes" (Merleau-Ponty) 

            La révolution scientifique du XVII siècle a légitimé l'idée d'une nature mécanique où le comportement de chaque élément est explicable par des lois, à l'intérieur d'une totalité envisagée comme la somme des parties des interactions de ces éléments.

     

     

    LA CHAÎNE DE L'ÊTRE

      

    Quo vadis little men

                Bamiléké - Cameroun                              Portail de La Majesté-Gothique XIII-Castille & Leon

     

     

        Une première esquisse de ce que pourrait être une ontologie analogique, nous est offerte par cette conception du plan et de la structure du monde, presque hégémonique en Europe, durant le Moyen Âge et la Renaissance, que l'on connaît d'ordinaire sous le nom de "grande chaîne de l'être". Retraçant le genèse de cette configuration singulière, Arthur Lovejoy en voit l'origine chez Platon, dans ce qu'il appelle "le principe de plénitude"; celui-ci résulte d'une tension entre la multiplicité infinie des idées éternelles formant les archétypes immuables, dont chaque existant matériel ou immatériel n'est qu'une copie amoindrie, et l'unité fédératrice conférée à l'une de ces idées en particulier, celle du Bien, qui fonde l'existence du monde et irrigue de sa perfection toutes les entités qu'il contient. 

     

     

     

       

     Philippe Descola/Par-delà nature et culture

         

     

     

     

     

     


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    La dignité esthétique de l'être humain

    Hugh Letheren

     

     

     Les grammaires de l'intelligence

     

              C'est une idée bien commune, que ce qu'il y a de premier sur la voie de la pensée, c'est l'association d'images. Si primitif qu'en puisse paraître l'exercice, il n'est pas cependant dépourvu d'une certaine logique ; les images associées dans le souvenir et le jeu de l'imagination ne se relient pas n'importe comment. Elles renvoient les unes aux autres selon l'ordre de l'évocation, une grammaire que l'on dira iconique. Sur cette grammaire, chaque individu dispose son histoire privée d'une façon qui n'appartient qu'à lui. Son imagination compose sur des associations résultant à la fois des expériences qui tissent la trame narrative de son histoire propre, et de la façon dont, suivant son affectivité, il a associé les images entre elles, en les connotant de façon positive ou négative. Ces connotations qualitatives suivent des variations extrêmement subtiles, où se marquent autant d'impressions différentes que le sujet retrouve ou se revit dans le souvenir.

     

              Chacun  n'y communique que avec soi même, comme dans le rêve

     

     

     

    Jean - Marc Ferry est philosophe et professeur à l'Université libre de Bruxelles 

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