• Ingénierie du vivant

     

     

    Ingenierie du vivant

     

    hughletheren 

     

    I

     

    Hiéronyme dit que Thalès mesura les pyramides d'après leur ombre, ayant observé le temps où notre propre ombre égale notre hauteur. Ainsi naquit l'homothétie, homonyme du mimétisme lors qu'il se tourne vers les choses. Jamais ne nous approchâmes tant de nos origines puisque, parmi les théorèmes primitifs, celui de Thalès sur la similitude des triangles passe par le premier conçu. Mais jamis non plus le corps mima aussi bien les choses de la Terre, ces pierres sous lesquelles, à nouveau, git un corps mort, en même temps qu'il mime celles du Ciel, puisque l'heure où les ombres sont égales se lit au cadran solaire.  

    Un outil, une machine simple, un moteur, un automate présentent d'abord une topographie, des parties disposées dans l'espace, d'une certaine manière et pour un tel usage. Pour que fonctionnent, en outre, ces organes et cet ensemble, ils reçoivent ou produisent de la force; celle d'un bras musclé sur la manivelle d'un treuil, celle du cheval de trait, de la vapeur, de l'électricité, du combustible liquide ou nucléaire. Fixe, leur topographie rend constante leur réponse à toute sollicitation extérieur, comme chez les animaux. Descartes a raison de les décrire comme des machines, à condition de limiter ces dernières à ce couple topologie-énergétique et les premiers au doublet anatomie-physiologie, forme et force qui déterminent la réaction d'usage ou d'instinct. Ici, le modèle mime l'organisme : la balance mime nos bras étendus parallèles au sol de chaque coté de notre corps vertical, pour la mesure du poids dans l'équilibre; le marteau est l'adjectivation extérieure de notre avant bras et notre main en poing qui tape un objet ou une surface ; la roue, la circonvallation additionnée de chacune de nos rotules, chevilles, poignés, coudes et genoux.  

    Or les ordinateurs, nouvelles machines, et le corps atteignent une commune nouveauté en introduisant un intermédiaire entre la forme-force et la fonction. Energie infime liée à la disposition des choses et des signes, l'information joue, au moins vaguement, le rôle de cette nouvelle instance intermédiaire. Pour un ordinateur, de plus, on appelle logiciel l'ensemble des informations propres à programmer la machine, c'est à dire, à changer son comportement, alors que la disposition matérielle de ses parties ne change pas. Le logiciel métamorphose le matériel comme le corps se métamorphose par ses gestes et mimiques. L'intermédiaire cherché comprend donc l'information, le logiciel et le programme. L'union de l'âme au corps ou de l'entendement au somatique est aussi claire et difficile que la relation du logiciel au matériel.

     

    Michel Serres / Variations sur le corps


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